2ème journée technique de Bretange Grands Migrateurs, le 12 janvier à Rennes (35)
La 2ème journée technique a fait escale à Rennes pour mettre à l'honneur l'anguille. Cette journée a été ponctuée d’interventions de l’OFB, d'Eaux & Vilaine, du MNHN, de collectivités, des Fédérations de pêche d'Ille-et-Vilaine et du Morbihan, de Bretagne Grands Migrateurs...
BGM a accueilli près de 90 personnes venues des 4 coins de la Bretagne. Acteurs de la pêche, techniciens de rivières, représentants de l'État et scientifiques ont échangé tout au long de la journée sur l'état des populations d'anguilles au niveau international, national et régional, sa gestion actuelle et les suivis déployés sur cette espèce.
L’événement a été organisé en partenariat avec la Fédération de pêche d'Ille-et-Vilaine et avec le financement de la Région Bretagne, du département d'Ille-et-Vilaine, de la DREAL Bretagne et de la Fédération nationale pour la pêche en France.
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Au programme...
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- État des populations d’anguilles en Europe – Évaluation internationale (C. Briand, Eaux & Vilaine) et nationale (L. Beaulaton, Pôle MIAME)
- État des populations d’anguilles en Bretagne (L.Le Gurun, BGM)
- Programme anguille Frémur : bilan 2022 (E. Feunteun, MNHN)
- Bilan de la population d’anguilles sur le Couesnon : Stock en place (G. Artur, FD35) et recrutement (A. Hemon, Établissement public Mont St Michel & F. Charrier, FishPass)
- Bilan de la population d’anguilles sur la Vilaine (C.Briand, Eaux de Vilaine)
- Bilan et évaluation du repeuplement anguille en France et focus sur la Bretagne (D. Gornet, ARA France et Y. Le Péru, FishPass)
- Un possible impact du barrage de l’usine marémotrice de la Rance sur la dévalaison es anguilles (T. Trancart, MNHN)
- Travaux de restauration de la libre circulation de l’anguille en montaison et dévalaison au barrage de Rophémel sur la Rance et retours sur les tests d’innocuité (E. Guirriec, Eau du bassin rennais & F. Charrier, FishPass)
- Suivi des anguilles par la méthode des flottangs : Exemple des marais de Dol de Bretagne (35) et du marais de Kervran/Kerzine (G. Artur, FD35 & A.L. Caudal, FD56)
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Extrait des principaux points clés identifiés lors de la journée
Évaluation internationale
En plus d’avis ponctuels sur les modèles de répartition des anguilles, les méthodes d’évaluation des plans de gestion…, le groupe de travail anguille du Conseil International pour l’Exploration de la Mer (CIEM) émet des avis récurrents sur l’état du stock d’anguilles aux États membres et à la commission européenne à la fois sur les opportunités de pêche et sur les aspects de conservation.
Un modèle d’évaluation des stocks est actualisé chaque année, un rapportage des mesures mises en œuvre par les États membres est réalisé tous les 3 ans.
À partir de l’analyse des séries de recrutement qui se situe entre 1 et 5 % d’avant les niveaux des années 80, le CIEM recommande une approche de précaution en instaurant 0 capture dans tous les habitats autant pour la pêche amateur que la pêche commerciale en prenant en compte les captures de civelles pour le repeuplement et l'aquaculture. Par ailleurs, le CIEM conseille que toutes les mortalités anthropiques non liées à la pêche doivent être nulles et que la quantité et la qualité des habitats de l'anguille doivent être restaurées, ce qui inclut la restauration de la connectivité et des facteurs physico-chimiques et biologiques des habitats.
Le règlement fixe à 40 % la cible d’échappement en biomasse ce qui signifie qu’une fois le stock restauré, on ne peut pas dépasser 60 % de mortalité de source anthropique sur l’ensemble du cycle de vie. En pratique, il est impossible d’atteindre à court terme les objectifs du règlement. L’échappement et la mortalité sont loin des objectifs fixés par le règlement.
On ne constate pas de progrès pour l’atteinte d’une cible en biomasse ou de tendance claire de diminution des mortalités. Les mesures de gestion sont intégrées dans les modèles dans 75 % des cas, mais il très difficile d’évaluer leurs effets car elles n’ont pas été conçues pour être évaluées. Les scientifiques préconisent de définir des cibles en mortalité plutôt qu’en biomasse.
Évaluation nationaleL’article 9 du règlement européen (UE 1100/2007) impose d’estimer la biomasse d’anguilles argentées. Pour cela, les États membres doivent fournir des données permettant d’évaluer l’état des populations. Des réseaux spécifique anguilles pour suivre le stock d’anguilles jaunes ainsi que des rivières index ont été définis dans le plan de gestion national pour obtenir des séries de données sur le long terme sur le recrutement (civelle/anguillette), le stock en place (anguille jaune) et l’échappement (anguille argentée). Ces données sont intégrées dans le modèle EDA (Eel Density Analysis) pour pouvoir estimer la biomasse d’anguilles argentées obtenue à partir des données de suivi et de variables environnementales. En plus de la biomasse, les impacts sur la population d’anguilles sont évalués : impact de pêche de la civelle, des turbines hydroélectriques ou bien des contaminations chimiques.
L’anguille est toujours classée en danger critique d’extinction et aucune amélioration nette n’est observée :
| Estimation des biomasses d’anguilles argentées issues du modèle EDA obtenue dans le cadre du projet SUDOANG (source : https://sudoang.eu/fr/visuang) |
Focus sur une mesure de gestion du Plan de Gestion Anguille : le repeuplement Le repeuplement fait partie d’une mesure de gestion d’urgence du Plan de Gestion Anguille, procédure encadrée à chaque étape : sélection des sites par le COGEPOMI, tests sanitaires, marquage des otolithes de 100 % aujourd’hui, condition et transport des civelles contrôlé par des agents de l’État, déversement des civelles et suivis scientifiques à 6 mois, 1 an et 3 ans. En Bretagne, 4,6 tonnes de civelles ont été déversées sur la Vilaine et l’Aulne entre 2011 et 2022 soit 9 % des quantités de civelles alevinées en France (entre 200 et 650 kg/an). Le suivi par pêche électrique à 6 mois, 1 an et 3 ans consiste à prospecter 25 stations de 20 points de 30 secondes. Le cahier des charges qui spécifie les modalités du suivi définit une cohorte cible pour l’efficacité du repeuplement ce qui peut poser quelques difficultés en raison des croissances très variables selon les individus et selon les sites (entre 2,8 et 5,0 cm/an) et de la dispersion des anguilles déversées. Pour répondre à la question sur l’efficacité du repeuplement, des suivis plus poussés devraient être mis en œuvre en mettant en place par exemple, des suivis annuels sur des rivières Index Repeuplement. |
Évaluation régionaleLa Bretagne n’échappe pas à la diminution de la population d’anguilles. Les indicateurs du recrutement estuarien, fluvial, du stock en place ou encore du flux d’anguilles argentées sont tous dans le rouge. Les suivis menés en Bretagne (source : BGM)
Indicateurs de la situation et de la tendance récente des anguilles argentées en Bretagne en 2021 (source : BGM, 2022)
| Quelques indicateurs régionaux
Certaines connaissances manquent pour préciser certains indicateurs d’impact tels que les captures d’anguilles jaunes en estuaire et en mer par les pêcheurs amateurs et professionnels ou encore l’impact des obstacles situés en zones estuariennes ou à l’aval de petits côtiers. |
Les 2 rivières index de Bretagne : le Frémur et la Vilaine
Le suivi a débuté en 1995 pour mesurer les effets de la restauration des voies de migration sur la phase continentale de la population d’anguille sur le bassin. C’est un bassin fortement aménagé notamment pour l’adduction d’eau potable avec le barrage de Bois Joli. La colonisation des anguilles en amont du barrage est très liée à l’hydrologie et de la surverse. Le recrutement ces 3 dernières années a très fortement augmenté en raison de travaux de restauration de la libre circulation au droit du barrage de Pont Avet situé en aval de Bois Joli. Ces forts recrutements se font ressentir dans le suivi du stock en place des anguilles jaunes par pêche électrique. La dévalaison des anguilles argentées est suivie au barrage de Pont es Omnès ; on constate une diminution globale des effectifs d’anguilles argentées qui rejoignent la mer avec une détermination sexuelle en faveur des femelles, phénomène normal lorsque les populations d’anguilles diminuent. La taille des femelles a tendance à diminuer depuis 2010 (perte de 5 cm) alors que leur âge augmente (augmentation de 1,5 an). Les contaminations par les polluants organiques et métalliques pourraient être une des raisons de ces changements de traits de vie. |
La Vilaine présente une position privilégiée vis-à-vis du recrutement, elle est située au nord de l’Arc allant de la Gironde à la Vilaine qui concentre les principales pêcheries de civelles en Europe. Le barrage d’Arzal réduit l’estuaire à un court couloir où le battement des marées est important. Le marnage de l’ordre de 6 m au pied des vannes du barrage d’Arzal conduit à concentrer les civelles dans une zone réduite où s’effectue la pêcherie. Le suivi des anguilles est réalisé aux 3 stades de son cycle de vie : suivi estuarien des captures, des passes, stock en place par pêche électrique et suivi de la dévalaison. La série de Vilaine est la plus proche de la série du CIEM « Elsewhere Europe » (ICES, 2010). Cette proximité vient probablement du fait que la capture totale sur la Vilaine est très peu dépendante des conditions environnementales. Les montées sur la passe fluctuent principalement en fonction de l’activité de la pêcherie. Entre 2016 et 2022, le taux d’exploitation par la pêche civelière est estimé à 77 %. Le stock en place est suivi à l’aide d’un réseau de stations de pêches électriques sur le bassin suivies annuellement. La période 2011 -2016 constitue un recrutement fluvial très important quand on le compare au recrutement historique de 1996-1999 ; la tendance est en revanche en forte baisse après 2017. Si on regarde les densités moyennes sur toutes les stations, les très fortes densités observées autour des années 2000 ne sont pas retrouvées sur le bassin, et le lien entre recrutement fluvial et pêches électriques n’est pas évident. Les tendances à l’augmentation sont plus marquées en aval, on ne les retrouve pas sur les zones intermédiaires et elles sont assez limitées et beaucoup plus tardives dans la zone amont. La croissance moyenne s’établit à 23,5 mm. La dévalaison est suivie depuis 2011 par un didson, c’est une caméra acoustique qui renvoie des échos radars et permet de distinguer les anguilles sur les échogrames. L’efficacité de la détection est modélisée selon la classe de taille des anguilles de la position du Didson, de la classe de distance et de la saison. |
Effectif d’anguilles argentées sur la Vilaine (Briand et al, 2022) et le Frémur (Charrier et al., 2022 – FishPass pour le MNHN) à partir des suivis à la dévalaison (suivi acoustique au barrage d’Arzal sur la Vilaine et suivi à la passe piège de Pont es Omnès sur le Frémur) |
La restauration de la continuité écologique et les suivis
- Barrage de Beauvoir sur le Couesnon
Le nouveau barrage de Beauvoir a été mis en service en 2009 dans le cadre de travaux de rétablissement du caractère maritime de la Baie du Mont St Michel. Il est constitué de 8 vannes secteur et 2 écluses à poissons. Le fonctionnement des vannes est automatisé en fonction du cycle des marées favorisant le désenvasement de la Baie du Mont St Michel.
Dans ce cadre, depuis 2003, un suivi a été mis en place par l’Établissement de la Baie du Mont St Michel pour évaluer l’impact de l’obstacle sur l’entrée des civelles dans le bassin et depuis 2008, par la Fédération de pêche d’Ille-et-Vilaine pour suivre le stock en place d’anguilles jaunes.Le suivi consiste à échantillonner les civelles en aval du barrage, dans les écluses à poissons, en transit à l’amont du barrage et repartant en mer sous l’effet des chasses.
Depuis 2015-2016, un minimum de 122 775 à 596 960 civelles sont entrées dans le Couesnon pour les marées échantillonnées (bilan net prenant en compte les civelles qui repartent en mer sous l’effet des chasses).
En conclusion, le recrutement sur le Couesnon suit globalement la même tendance annuelle que l’indice de recrutement européen. La gestion du nouveau barrage permet d’améliorer les échanges entre la mer et le Couesnon avec des volumes d’eau entrants plus importants. La gestion en portes à flots ou remplissage fluvial est plus limitante que le fonctionnement de l’ancien barrage mais le écluses à poissons permettent le passage d’une partie des civelles sur une partie des marées. Les résultats de ce suivi permettent d’optimiser un peu plus chaque année la gestion du barrage pour la migration des civelles.
L’état des lieux mené en 2008 avait permis de mettre en évidence une distance de disparition des anguilles de moins de 150 mm à une soixantaine de km de la mer. Entre 2008 et 2015, les effectifs ont chuté de 40 % et la distance de disparition est passée à 40 km de la mer. La chute des effectifs serait bien liée à une diminution régulière du stock avec un vieillissement de la population et un déficit du recrutement. L’impact du nouveau barrage n’est en revanche par démontré puisque la chute du recrutement peut être liée à des facteurs plus globaux lié à la baisse de l’indice du recrutement européen. Les indices de la station située le plus en aval du bassin sont bien corrélés avec les indices de recrutement obtenus sur le barrage. Ce suivi met en évidence une problématique ponctuelle de blocages lorsque plusieurs facteurs se combinent : coefficient de marée, arrivées de civelles et fonctionnement des portes à flots.
- Usine marémotrice de la Rance
Le comportement des anguilles dans l’estuaire de la Rance a été étudié dans le cadre du projet Ranc’eel mené par le MNHN- Station marine de Dinard pour évaluer les impacts d’une usine marémotrice moins bien connus que les impacts des turbines « classiques ». 25 anguilles issues du lac de Grand Lieu ont été marquées et relâchées en amont de l’estuaire de la Rance en novembre 2019 et leur comportement a été suivi tout au long de l’estuaire à partir d’un réseau de 7 balises. L’échappement est qualifié de très faible avec seulement 36 % des anguilles qui ont pu franchir l’usine marémotrice. Pour aller plus loin, un projet va être déposé dans le cadre d’un LIFE pour reconduire la manipulation en supprimant le biais de la translocation.
- Barrage de Rophémel sur la Rance
Eau du Bassin Rennais (EBR) a acquis en 2015 le barrage de Rophémel (26 m de hauteur) pour la production d’eau potable (qui représente 7 Mm3 soit 27 % de la production d’EBR en 2020) mais également la production d’hydroélectricité.Dans le cadre des obligations réglementaires liées au rétablissement de la continuité écologique, des dispositifs de franchissement ont été installés : une passe à anguilles d’une hauteur de 20 m à franchir pour la montaison et une conduite pour la dévalaison.
Dans le cadre de l’évaluation de l’efficacité des aménagements, des suivis ont été mis en place. Le dispositif de comptage des anguilles durant la phase de migration des anguilles a permis de comptabiliser entre 170 anguilles en 2020 et 2064 en 2021. Des tests d’innocuité avec passage d’anguilles dans la conduite de dévalaison ont révélé que le système de dévalaison mis en place sur le barrage de Rophémel n’entraine pas de mortalité pour les anguilles qui l’empruntent (0 mortalité après 48h). En revanche, le nombre de nouvelles blessure (érosions cutanées de faible densité) est plus important sur les anguilles ayant passé le canal de fuite (19 %) que sur les anguilles du lot témoin (6 %) mais les résultats ne sont pas significatifs.
Cette étude ne présume cependant en rien de l’efficacité du système de dévalaison, à savoir si les anguilles de la Rance trouvent l’entrée de ce système et si elles l’utilisent de manière effective pour franchir le barrage de Rophémel.
Focus sur les manips flottangs Le Flottang est un dispositif passif d’échantillonnage des anguilles permettant de suivre la colonisation d’un bassin, évaluer le recrutement, dans des zones proches de la mer, y compris dans des zones de marais, doux ou saumâtre, peu ou pas accessibles aux techniques classiques de pêche électrique ou le suivi aux passes piège. Les Flottangs présentent l’avantage de cibler les très jeunes anguilles entre 60 et 90 mm. Des suivis par Flottang sont mis en œuvre en Bretagne depuis 2016. Quelques difficultés ont été rencontrées en particulier dans les zones de marnage ou de l’accessibilité au site. Des questions sont également apparues quant au comportement des civelles en phase de colonisation. : influence des variables environnementales ? Comportement des anguilles à la variation de salinité, température… ? Cette méthode a néanmoins fait ses preuves notamment dans les marais doux de Dol de Bretagne prouvant l’efficacité des aménagements des ouvrages à la mer sur la Banche, le Biez Jean et le Cardequin dès l’année de mise en place des dispositifs. Dans les Marais de Kervran/Kerzine dans le Morbihan, les Flottangs concentraient de fortes quantités de civelles en aval de la buse et très peu en amont (entre 0 et 4 anguillettes). Après travaux, des civelles ont été observés dans des effectifs moindre dans le Flottang situé en aval de la buse et beaucoup plus importants dans les Flottangs situés en amont de la buse. Le Flottang est finalement un outil intéressant et pédagogique pour mettre en évidence les problématiques de libre circulation des anguilles. |
Les propos du Président de Bretagne Grands Migrateurs clôturent cette journée sur une note d’espoir pour 2023 « Espérons que 2023 soit une concrétisation de mesures de gestion de la pêche plus restrictives pour la sauvegarde de l’anguille ! Ce souhait est d’autant plus prégnant aujourd’hui pour faire face au changement climatique qui a un impact sur les conditions de migration de l’anguille en mer mais également des conséquences sur la croissance des anguilles en rivière. »