Tout au long de l'année 2024, Bretagne Grands Migrateurs lance une chronique sur la continuité écologique "Circulez !". Aujourd'hui, le sixième épisode...
Espèce méconnue des cours d’eau bretons, la lamproie marine appartient à la grande famille des poissons migrateurs amphihalins dont leur cycle de vie leur impose une migration entre les eaux douces et salées. Ainsi à partir de janvier, cette espèce a un besoin vital de remonter les cours d’eau jusqu’à des zones favorables à sa reproduction…
La distance que les lamproies marines parcourent dépend de la taille de la rivière, la localisation des frayères et… la présence d’obstacles à la migration. En effet, les barrages, seuils, radiers de ponts... restreignent l’accès aux zones naturelles de reproduction et/ou induisent des retards à la migration allant jusqu’à compromettre leur reproduction.
Les capacités de franchissement d’un obstacle sont étroitement liées aux capacités de nage et de saut qui dépendent elles-mêmes de la morphologie de l’espèce, de sa taille et de la température de l’eau. Malheureusement, les lamproies marines possèdent des capacités de nage moyennes (vitesse de sprint entre 3 et 3,5 m/s) et n’ont pas d’aptitude au saut :
- Des vitesses de l’ordre de 2 à 3m/s constituent une difficulté majeure dès lors que la distance à franchir dépasse de 10 à 20 mètres ;
- Une vitesse d’écoulement supérieure à 4m/s est un obstacle absolu ;
- Dès une vitesse supérieure à 0,6m/s, la lamproie marine a besoin de se fixer.
Particularité chez la lamproie marine… elle a une aptitude à franchir des obstacles par un comportement de « burst and attach » qui consiste en une succession rapide de nage en vitesse de pointe et d’accrochage au substrat avec sa bouche-ventouse. Cette particularité lui confère finalement des capacités de franchissement supérieures à ce qu'elles seraient si l'on prenait simplement en considération des vitesses de nage (Baudoin J.-M., Burgun V., Chanseau M., Larinier M., Ovidio M., Sremski W., Steinbach P., Voegtle B., 2014. Evaluer le franchissement des obstacles par les poissons. Principes et méthodes. Informations sur la continuité écologique - ICE. OFB. Comprendre pour agir) !
Comme sur de nombreux territoires, les cours d’eau du bassin versant du Couesnon ont été profondément transformés en particulier par l’édification de nombreux ouvrages transversaux… Sur le linéaire classé en liste 2 au titre de l’article L214-17 du code de l’environnement, 126 ouvrages sont recensés soit un ouvrage tous les 1.8 km ! Heureuseument depuis 2008, de nombreux efforts de restauration de la circulation piscicole ont été entrepris Aujourd’hui, plus de 70% de ces obstacles sont considérés comme franchissables pour les lamproies marines. Malgré tout, le taux d’étagement (rapport entre le cumul des hauteurs de chutes artificielles et la dénivelée du profil en long du cours d'eau)reste de 21% sur le cours principal (contre 27% en 2008). |
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Comment la restauration de la continuité écologique s’est-elle traduite sur la colonisation par la lamproie marine du bassin du Couesnon? Depuis 2008, la fédération pour la pêche et la protection du milieu aquatique de l’Ille-et-Vilaine réalise un suivi de la reproduction de la lamproie marine sur le Couesnon et ses affluents.
Entre 2008 et 2023, le nombre de frayères de lamproies marines observées annuellement a oscillé entre 50 (2021) et 582 (2015), principalement concentrées sur le cours principal du Couesnon et de la Loysance. Leur colonisation est conditionnée par le débit et le franchissement des ouvrages jalonnant les cours d’eau.
Evolution du nombre de nids de lamproies marines comptés sur le bassin du Couesnon depuis la mise en place du suivi (FDAAPPMA 35)
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Ce suivi a mis en évidence les freins majeurs à la colonisation sur le cours principal du Couesnon :
- Le moulin d’Antrain en aval immédiat duquel 20% des nids ont été recensés (jusqu’en 2022) ;
- Le moulin de Quincampoix en aval immédiat duquel jusqu’à 50% des nids ont été recensés.
Seuil du moulin de Quincampoix sur le Couesnon © FDAAPPMA 35
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Front de colonisation des lamproies marines sur le cours principal du Couesnon en 2022 (FDAAPPMA 35)
A l’inverse, ce type de suivi démontre parfaitement l’efficacité de travaux en faveur de la circulation piscicole. Au niveau du moulin d’Antrain, les lamproies marines avaient tendance à se bloquer au niveau du déversoir et à ne pas emprunter la passe à poissons, en particulier pour des débits assez élevés. En 2022, la fédération de pêche de l’Ille-et-Vilaine a installé des réhausses de part et d’autre de l’entrée aval de la passe sur le replat du déversoir pour améliorer le franchissement de l’obstacle. La réponse des lamproies marines ne s’est pas fait attendre ! Alors qu’en 2022, plus de 20% des nids de lamproies ont été comptés en aval direct du moulin d’Antrain traduisant une accumulation de lamproies en aval de l’obstacle, seulement 10% des nids ont été observés en 2023.
Front de colonisation des lamproies marines sur le cours principal du Couesnon en 2022 et 2023 (FDAAPPMA 35)
Déversoir du moulin d’Antrain avant (à gauche) et après-travaux (à droite) © FDAAPPMA 35
La restauration de la continuité écologique permet d’ailleurs, dans certains cas, de récupérer de nouvelles surfaces d’habitats disponibles favorables à la reproduction des lamproies marines :
- Alors qu’avant 2012, entre 0 et 12 nids étaient observés au niveau du déversoir du moulin de l’Angle, entre 0 et 24 frayères sont comptées chaque année depuis son effacement ;
- Alors qu’avant l’effacement du seuil du moulin Béliard en 2015 seulement 1 frayère avait été observée, de 1 à 16 nids sont comptés chaque année depuis.
C’est pour toutes ces raisons que la lamproie marine est une bonne indicatrice de la restauration de la continuité !
Rendez-vous le mois prochain pour un nouvel article !