Tout au long de l'année 2024, Bretagne Grands Migrateurs lance une chronique sur la continuité écologique "Circulez !". Aujourd'hui, le deuxième épisode...
Les obstacles à la migration, quels impacts sur les poissons migrateurs ?
La fragmentation des milieux naturels est l’une des principales causes d’érosion de la biodiversité. Barrages, seuils de microcentrales, radiers de ponts... constituent toutes sortes d'embûches retardant ou empêchant la remontée et/ou la dévalaison des poissons migrateurs qui ont pourtant besoin de circuler librement sur les cours d’eau pour se reproduire ou grandir. Ces ouvrages influent directement sur la quantité, la diversité et la qualité des espèces aquatiques présentes dans le cours d’eau, en créant des chutes artificielles plus ou moins franchissables…
1. Les ouvrages limitent l'accès aux zones de reproduction / de croissance
En bloquant plus ou moins partiellement l’accès aux zones de frayères et/ou de croissance des poissons migrateurs, les seuils et barrages ont entrainé une diminution de leurs abondances voire leur extinction sur certains cours d’eau. A titre d’exemple, le saumon a perdu aujourd’hui près de 50 % de son aire de répartition historique en Bretagne. Cela a pour conséquence directe une diminution du recrutement : alors que dans une situation sans barrage, la Bretagne produirait 193 053 smolts, aujourd’hui, la production est estimée à 99 050 smolts (Briand et al., 2015).
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L’effet bloquant des ouvrages transversaux existe aussi à la dévalaison… Une étude menée sur le Frémur a montré chez l’anguille que la présence d’un barrage a un réel impact négatif, empêchant toute migration des anguilles lorsqu’il n’y a pas de surverse (Trancart et al, 2020).
2. Les ouvrages retardent la migration des poissons migrateurs, allant jusqu’à compromettre la reproduction
Les délais nécessaires au franchissement d’un obstacle (tentatives de saut ou/et recherche active de voies de passages) peuvent atteindre plusieurs jours. Une étude radio-télémétrique de la migration des saumons menée en 1999 et 2000 sur l’Aulne a mis en évidence un retard médian variant de 6 heures pour le seuil de Kersalic à près de 8 jours pour le seuil de Coatigrac'h et même à plus de 32 jours pour le seuil de Prat Pourric.
Dispersion des durées de blocage observées au droit des différents seuils de l’Aulne. Les boites représentent ici les intervalles interquartiles, les traits horizontaux à l’intérieur des boites les médianes, les traits verticaux indiquent les valeurs minimales et maximales dans la limite de 1.5 fois l’intervalle interquartile, les ronds les valeurs éloignées et les étoiles les valeurs extrêmes (Croze, 2008)
Et même si le poisson parvient finalement à atteindre une frayère potentielle, la reproduction peut se révéler inefficace si l’arrivée est trop tardive, notamment parce que les conditions environnementales ne sont plus propices à une bonne survie des œufs ou parce que l’énergie dépensée par l’individu en migration a entraîné un phénomène d’épuisement qui l’empêche de défendre un territoire ou d’éviter les prédateurs (ICE, 2014).
A la dévalaison, le passage dans les retenues peut également induire des retards, en raison notamment de la diminution de la vitesse du courant ou des délais nécessaires à la recherche d’un passage vers l’aval. Ils peuvent conduire à une arrivée trop tardive des poissons migrateurs en estuaire à une date ne permettant plus une survie correcte lors de la phase de vie marine. En plus du blocage direct de la migration des anguilles argentées, Trancart et al. (2020) ont mis en évidence sur le Frémur :
- l'atténuation des facteurs déclenchants de la dévalaison, conduisant un retard de la migration
- des retards et des distances supplémentaires parcourues lors de la traversée le barrage
- des coûts énergétiques plus élevés liés à cette distance supplémentaire parcourue
3. Blessures et mortalités au droit des ouvrages
Ce type d’impact concerne plus spécifiquement la migration de dévalaison, même si des blessures ou des mortalités de poissons peuvent survenir suite à des tentatives de saut à la montaison. De manière générale, la dévalaison par les déversoirs se fait sans dommages conséquents lorsque la profondeur d’eau au pied du barrage est suffisante, en particulier dans le cas des barrages de hauteur modérée (moins d’une dizaine de mètres).
Gros plan de la peau d'une anguille argentée blessée dans un turbine (FishPass)
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Des pertes bien plus conséquentes peuvent apparaître lors du passage des poissons dans les turbines des centrales hydroélectriques qui le soumet à diverses contraintes susceptibles d'entraîner des mortalités importantes selon les espèces et la taille des individus : risques de chocs contre les parties fixes ou mobiles de la turbine, accélération et décélération brutales, variations très rapides de pression…
En Bretagne, la mortalité des anguilles argentées due aux turbines hydroélectriques a été estimée à hauteur de 3,3% (soit 9 411 individus) de la production des cours d’eau bretons (Briand et al., 2015).
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4. Augmentation des risques de prédation et de maladies
Le stress, la fatigue et les blessures occasionnés par les prédateurs, les tentatives de sauts répétés à la montaison ou un passage à travers une turbine hydroélectrique à la dévalaison rendent les poissons fragiles et beaucoup plus sensibles aux parasites, aux maladies et à la prédation.
Les modifications d’habitat créées par les barrages dans les retenues, avec de faibles vitesses d’écoulement, ralentissent les passages, augmentent ainsi les temps de résidence, concentrent les prédateurs ainsi que leurs proies potentielles et créent un stress qui peut augmenter la vulnérabilité aux prédateurs (Croze O., 2008).
Même si pris individuellement, certains ouvrages ne semblent pas présenter d’effet sur les populations de poissons migrateurs, a fortiori lorsqu’ils sont de petite taille, la multiplication des ouvrages amplifie ces impacts le long des axes migratoires ! Toutefois, les travaux évaluant l'effet des obstacles à l'écoulement restent peu nombreux, se cantonnant à l’étude d’une espèce et/ou sur un secteur géographique restreint. C’est pourquoi Eaux & Vilaine, Loire Grands Migrateurs (LOGRAMI) et BGM ont lancé en 2023 un projet, intitulé MONTEPOMI, pour estimer l’impact cumulé des ouvrages lors de la migration de montaison de l’anguille, du saumon, de la grande alose et de la lamproie marine sur le bassin Loire-Bretagne. Rendez-vous en novembre pour en savoir plus…
Sources :
- Briand C., Legrand M., Chapon P.-M., Beaulaton L., Germis G., Arago M.-A., Besse T., De Canet L., Pierre Steinbach P. 2015. Mortalité cumulée des saumons et des anguilles dans les turbines du bassin Loire-Bretagne. 260 pages.
- Croze O. 2008. Impact des seuils et barrages sur la migration anadrome du saumon atlantique (Salmo salar L.) : caractérisation et modélisation des processus de franchissement. Université de Toulouse. 331 pages.
- Baudoin J.-M., Burgun V., Chanseau M., Larinier M., Ovidio M., Sremski W., Steinbach P., Voegtle B. 2014. Evaluer le franchissement des obstacles par les poissons. Principes et méthodes. Informations sur la continuité écologique – ICE. OFB. 200 pages.
- Trancart T., Carpentier A., Acou A., Charrier F., Mazel V., Danet V., Feunteun E. 2020. When “safe” dams kill: Analyzing combination of impacts of overflow dams on the migration of silver eels. Ecological Engineering. 11 pages.
Rendez-vous le mois prochain pour un nouvel article !